Bertrand Saint-Germain, (P)rendre les armes ?, Le Polémarque, Nancy, 2023 – note de lecture
Bertrand Saint-Germain vient de publier (P)rendre les armes ?, une étude sur le libre accès aux armes qui évoque, entre droit, politique, philosophie et histoire, l’ensemble des enjeux attachés à la liberté d’accès des particuliers aux armes. Cet essai mérite quelques commentaires et observations.
Il convient, avant tout, de féliciter Bertrand Saint-Germain d’avoir choisi de lever le voile sur une question vis-à-vis de laquelle le lecteur francophone ne disposait jusqu’à aujourd’hui d’aucune ressources directe. En 2020, lors du Congrès de l’AFDSD tenu à Lyon, nous étions intervenus sur le point de savoir si Le port d’arme citoyen pouvait être une garantie de la protection des libertés et un remède à l’ensauvagement de la société. Nous constations alors qu’un seul ouvrage abordait cette question dans toute la littérature francophone, celui du Québécois Pierre Lemieux, Le droit de porter des armes, publié aux Belles Lettres il y a plus de trente ans ; livre pour partie ancien (1993) et aujourd’hui indisponible chez son éditeur. De fait, les Universitaires se sont, jusqu’à maintenant, montrés très frileux à aborder cette question, puisque les banques de données nous révèlent que moins de cinq articles ou études ont jusqu’à ce jour abordé cette question en France. Chiffre ridicule à rapprocher des milliers de références anglo-saxonnes. Pour cette seule raison, Bertrand Saint-Germain est déjà à féliciter pour son essai ; il a su s’engager dans des espaces inexplorés par une Université française parfois plus attachée à satisfaire au wokisme ambiant qu’à réellement s’engager sur des voies inexplorées par la recherche et toujours prompte au confort intellectuel justement dénoncé par Marcel Aymé.
Sur la forme, les 210 pages de l’ouvrage se structurent dans cinq chapitres qui abordent successivement les écrits des penseurs et philosophes en matière de possession des armes (ch. 1), puis l’histoire de l’accès des particuliers aux armes en France (ch. 2), avant d’envisager les questions attachées à la possession des armes aux États-Unis (ch. 3), tant il est vrai que l’on ne peut aborder les questions attachées à l’accès des particuliers aux armes, sans aborder la situation américaine en la matière. L’ouvrage effectue ensuite un vaste tour d’horizon de l’accès des particuliers aux armes dans le monde (ch. 4) et termine son étude en questionnant l’existence d’un lien entre essor des tueries de masse et libre accès des particuliers aux armes (ch. 5).
Sur le fond maintenant, que dire de cet essai ? Écrire une note de lecture oblige nécessairement à des choix et impossible de tout dire ici. Pour autant, plusieurs points nous semblent mériter une attention particulière. D’abord la mise en perspective et le rappel de ce qu’ont écrit l’ensemble des penseurs et philosophes à propos du nécessaire accès des particuliers aux armes (1), puis la mise en lumière documentée de la situation des États-Unis en la matière (2). Enfin, nous dirons quelques mots de son chapitre sur l’hypothétique lien entre tueries de masse et accès des particuliers aux armes (3).
1. C’est une vérité que l’on passe généralement sous silence tant elle s’accorde peu avec les exigences du politiquement correct : philosophes et penseurs, de l’Antiquité à la Révolution, se sont tous accordés à considérer qu’il était absolument nécessaire que les citoyens puissent librement accéder aux armes. L’ouvrage de Bertrand Saint-Germain nous convie ainsi à relire Aristote et Platon, Cicéron et Tacite ; puis retrouvant les Modernes, il nous fait redécouvrir Grotius et Hobbes, Locke et Montesquieu, Rousseau, Beccaria et Mirabeau, tous ardents zélateurs du droit des citoyens de posséder des armes. Faisant un détour par l’Angleterre, Bertrand Saint-Germain nous fait ainsi redécouvrir le Bill of Rights de 1689. Redécouvrir, oui, car quel universitaire enseignant les Libertés fondamentales aujourd’hui serait spontanément capable de rappeler à ses étudiants que ce texte partout glorifié reconnaît aux Anglais le droit de posséder des armes ; mais cela en faveur des seuls Anglais de confession protestante[1] ! Et c’est d’ailleurs ce détour outre-Manche qui révèle la généalogie du 2e amendement américain s’appuyant sur la pensée de John Locke mais, plus encore, sur la Common law.
2. Adopté en 1791, cet amendement rappelle : « une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé ». Or, cette disposition est directement issue de l’Angleterre et de la Common law, puisque, comme l’écrivait Blackstone quelques années plus tôt dans ses Commentaires sur les lois anglaises (1765), parmi les droits fondamentaux des Anglais : « le cinquième droit auxiliaire, et le dernier dont je parlerai dans ce moment, est celui qui appartient à tout sujet, d’avoir des armes pour sa défense » (p. 249 de l’édition citée)… Présentant la situation des États-Unis, Bertrand Saint-Germain, après avoir présenté les enjeux du débat contemporain entre Originalism et living Constitution, explique l’interprétation actuelle du 2e amendement par la Cour suprême et surtout, nous fait découvrir les méandres du droit américain du port et de l’utilisation des armes. En particulier, on le suit dans des développements forts instructifs pour le lecteur familier du droit pénal français ne connaissant pas le système américain. Nous est ainsi présentée la Castle doctrine ou « doctrine du château », qui s’applique partout aux États-Unis et en vertu de laquelle tout propriétaire est en droit de se défendre dans sa maison (notion entendue largement et qui peut s’étendre au véhicule). Il présente également la Stand your ground law, laquelle autorise toute personne à ouvrir le feu, de manière légitime, lorsqu’si elle estime être soumise à une menace illégale, et cela, sans obligation de battre en retrait ; cette règle du droit pénal américain est reconnue partout aux États-Unis… Bref, des règles juridiques et processuelles qui nous sont méconnues et surtout, sont très éloignées de celles que l’on connaît en France ; cela seul suffirait d’ailleurs à justifier la lecture de (P)rendre les armes ?
3. Enfin, sur le lien de causalité susceptible d’être constaté entre essor des tueries de masse et libre accès aux armes, la lecture est encore très instructive. Alors que cette thématique est extrêmement documentée outre-Atlantique, elle n’est guère envisagée en France et l’ouvrage nous donne d’abord à connaître la typologie des tueries de masse, leurs caractéristiques, leurs causes et le profil de leurs auteurs : âge, origine, sexe… Ce faisant, l’essai nous apprend que, contrairement à ce qui est communément entendu dans le discours médiatique, ces tueries n’ont pas majoritairement lieu dans les écoles, mais au contraire sur le lieu de travail des auteurs (ce qui en dit d’ailleurs beaucoup sur la violence des relations professionnelles)… Surtout, l’étude révèle, documentation chiffrée à l’appui, que les tueries les plus nombreuses ont -paradoxalement ?- lieu dans les États dont la réglementation sur les armes est la plus restrictive qui soit de tous les États-Unis (Californie, État de New-York…)… Enfin, un chapitre fort documenté nous rappelle que, nous aussi, en France (et d’ailleurs partout en Europe également) nous connaissons nombre de telles tueries, rarement présentées ainsi…
Bref, un ouvrage vivifiant, à l’encontre des idées reçues, et qui nous fait découvrir nombre de points souvent méconnus de l’histoire (française, anglaise et américaine), de la philosophie et de la réglementation de l’accès des particuliers aux armes. Il s’agit, qui plus est, d’un essai dont la lecture suscite assurément la réflexion. Bref, de très bonnes raisons de se le procurer et de le lire sans délai.
[1] Bill of rights, 13 fév. 1689 : « … Dans ces circonstances, lesdits Lords spirituels et temporels et les Communes, aujourd’hui assemblés en vertu de leurs lettres et élections, constituant ensemble la représentation pleine et libre de la Nation et considérant gravement les meilleurs moyens d’atteindre le but susdit, déclarent d’abord (comme leurs ancêtres ont toujours fait en pareil cas), pour assurer leurs anciens droits et libertés : (…) 7° Que les sujets protestants peuvent avoir, pour leur défense, des armes conformes à leur condition et permises par la loi ».
