La mise à l’écart du peuple dans la pratique de la Vᵉ République

Bertrand Pauvert, in Politeïa, n° 2014-26, pp. 493-512.

L’article, dans sa version pdf, est téléchargeable en bas de page.

Résumé : Cet article, dont le contenu reste d’actualité, a été écrit par Bertrand Pauvert en 2014; il vise à mettre en perspective la faible place du peuple dans la pratique institutionnelle française depuis 1958. Initialement et après la longue parenthèse du parlementarisme absolu des IIIe et IVe République (1871-1940), la Ve République semble rouvrir la voie d’une intervention populaire, plusieurs articles la prévoyant (art. 3, 11, 53, 89) ; constat théorique corroboré par les révisions constitutionnelles s’attachant toutes à favoriser la participation populaire (1995 : art. 11, référendum ; 2003 et 2008 : art. 11, 69 et 72, initiative populaire et pétition). Pour autant et plus de soixante ans plus tard, c’est bien la portée pratique limitée des réformes intervenues qui se vérifie ainsi que la permanence d’une méfiance à l’encontre de toute intervention populaire directe.

Mots-clés : Abstention – Art. 11 – Art. 72-1 – Art. 88-5 – Art. 89 – Conseil constitutionnel – Conseil économique, social et environnemental – Consultation locale – Fait majoritaire – Initiative législative – Initiative populaire – Pétition – Référendum – Représentation – Scrutin proportionnel

Le peuple dans la pratique institutionnelle de la Ve République : du pouvoir invoqué au contre-pouvoir évincé

S’interrogeant sur le peuple, un collègue nourri de l’imaginaire arthurien le dessinait en souverain endormi[1], relevant qu’en dépit de la place centrale que lui donnait la Constitution, la pratique institutionnelle le laissait souvent sous contrôle ; allant plus loin et au terme d’une analyse serrée, le constat lui paraissait s’imposer que « le souverain risque fort de n’être plus seulement endormi ni même captif, mais purement et simplement anéanti »[2]. Sans faire nôtre une telle hypothèse, l’observation du fonctionnement de nos institutions n’en fait pas moins apparaître un prodigieux écart entre une révérence marquée et toujours renouvelée envers le peuple, source de tout pouvoir et le manque substantiel de son implication dans la pratique de notre système politique. Le pouvoir nominal constitutionnellement reconnu au peuple tend finalement à n’envisager celui-ci, à rebours des souhaits du constituant, que comme un contrepouvoir écarté dont il n’est surtout pas souhaité qu’il intervienne dans le fonctionnement du système politique.

            Pourtant et l’observation des sources de la Constitution et la lecture de l’ensemble de la doctrine attestent qu’en 1958, le peuple retrouve la place qui lui revient naturellement comme titulaire du pouvoir originaire. De fait, si le pouvoir constituant appartient à la Nation et à elle seule, ainsi qu’en disposent les articles deux et trois de la Constitution, seul le suffrage populaire en légitime pleinement l’expression ; d’ailleurs, la théorie de la représentation valide implicitement cette réalité, tant il est vrai que c’est par le suffrage du peuple que les représentants sont désignés pour agir au nom de la nation et en exprimer les vœux[3]. Telle qu’elle s’opère par la Constitution de 1958, la reconnaissance du rôle actif du peuple dans le fonctionnement de la démocratie politique s’inscrit dans le fil d’un vaste mouvement historique dont la source remonte à la fin du XIXe siècle et au révisionnisme constitutionnel. Sous l’angle de l’équilibre des pouvoirs, l’appel direct au peuple apparaît comme le moyen de contrebalancer l’influence d’un Parlement toujours plus puissant et se revendiquant comme l’unique représentant de la nation. De ce point de vue, la pratique de Louis-Napoléon Bonaparte comme celle du général Boulanger, quoique par des moyens distincts et en des circonstances non identiques, s’apparentent en ce qu’elles reposent sur un appel au peuple visant à contraindre les représentants élus[4]. Dans le conflit opposant l’exécutif et le législatif se rejoue l’opposition décrite entre la liberté selon les Anciens et selon les Modernes, chacun des deux pôles prétendant être le plus à même d’incarner la volonté populaire. D’ailleurs, l’hypothèse du recours au peuple comme arbitre suprême des intérêts de la nation est au cœur des revendications visant à dénoncer le parlementarisme absolu.

            La réflexion des années 1920-1930, qu’elle soit le fait des juristes ou des dirigeants politiques eux-mêmes, pressent la nécessaire remise en cause de la situation de « souveraineté parlementaire » connue par la France et la réinstauration du peuple au cœur de la décision politique. Le « souverain captif » évoqué par Tardieu[5] fait écho à la mise en cause par Carré de Malberg du « parlementarisme absolu »[6] à laquelle doit répondre une nécessaire « combinaison du référendum avec le parlementarisme »[7]. Dès lors, c’est sans surprise qu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale le peuple retrouve une place active dans le jeu politique. Les trois référendums de 1945-1946 entrouvrent la porte au retour du peuple[8], que la nouvelle Constitution reconnaît comme acteur majeur en instituant le principe du retour au référendum[9]. Pourtant, ce retour annoncé n’interviendra pas au cours de la IVe République dont il est désormais commun d’observer qu’elle fut une IIIe en pire, puisque, comme l’observait Michel Debré, « on attendait beaucoup de la Libération. Elle fut pour ce qui concerne les institutions une grande déception »[10].

À beaucoup d’égards, la Constitution de 1958 concrétise et manifeste ce retour du peuple dans la vie institutionnelle de la France ; opération corroborée et accentuée par les nombreuses révisions constitutionnelles ultérieures intervenues et s’attachant à favoriser sa participation. Au-delà de la seule sphère constitutionnelle, de nombreuses lois se sont également attachées à favoriser une plus grande intervention populaire dans le fonctionnement de la vie sociale ou politique. Pourtant et à rebours de ces dispositions juridiques, chacun s’accorde à constater une implication de plus en plus distante du peuple dans les affaires institutionnelles. Guère consulté, manifestant une défiance de plus en plus grande envers la classe politique, mettant en cause l’insuffisante représentativité des représentants, le peuple se réfugie dans l’abstention ou s’attache à défaire les prévisions des oracles, son pouvoir semblant plus n’être que nominal, écarté de toute implication dans l’exercice d’un pouvoir qui ne saurait pourtant être que le sien. Si telle est la situation, c’est sans doute car « à peine séchée l’encre, les institutions paraissent avoir échappé sinon à la nécessité qui avait présidé apparemment à leur naissance du moins aux intentions qui avaient inspiré le dispositif juridique correspondant »[11] ; les mots du Doyen Vedel s’accordent à merveille à la situation du peuple sous la Ve République, tant il est vrai que si ce peuple se voit systématiquement glorifié et invoqué comme la source de tout pouvoir (I), il tend désormais à apparaître comme un contrepouvoir évincé (II).

I- Le peuple, un pouvoir invoqué

Le peuple est matrice de la République ; nulle surprise alors que celle-ci lui rende un hommage que l’on peut quasiment dire filial. Cette reconnaissance conduit à voir en lui la source de tout pouvoir et le principe actif de la République ; son intervention conduit à la naissance de la République, laquelle lui est indissolublement liée. Au-delà, si le fonctionnement quotidien de notre système politique induit naturellement l’action de représentants, ceux-ci ne restent à jamais que de simples mandataires du peuple, lequel reste la figure tutélaire et suprême de l’ordre politique, toujours susceptible d’intervenir dans celui-ci. Il apparaît sous cet angle que si l’intervention du peuple fut créatrice (A), elle n’en est pas moins renouvelée (B).

A- Une intervention créatrice

La théorie l’affirme, le peuple est la source de tout pouvoir ; cette mention en est fait à l’article 3[12] quand l’article 2 voit en lui le principe de la République[13]. Il ne saurait y avoir de surprise à cela, tant il est vrai que le cahier des charges présidant à l’adoption de la Constitution de 1958 en disposait ainsi : « seul le suffrage universel est la source du pouvoir. C’est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif »[14]. Par-delà ce simple constat, sera relevé que l’intervention créatrice du peuple se retrouve, au-delà du seul texte, dans toute la pratique de la Ve République. Celle-ci valorise ainsi tant le principe du recours au peuple, que le fait de lui confier la décision suprême ou de se soumettre à son jugement.

Le recours au peuple est explicitement mentionné dans plusieurs articles de la Constitution, dans sa version initiale, qui mentionnent et organisent l’intervention populaire. La Ve République se réclame d’abord du peuple de manière générale et principielle, mais elle l’envisage encore de manière spéciale et fonctionnelle. On pense spontanément à l’article 3 déjà évoqué et disposant que « la souveraineté nationale appartient au peuple » et qu’il « l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum »[15] ; il n’y a cependant pas là d’innovation significative, tant il est vrai que cet article 3 n’effectue qu’une extension de l’affirmation déjà timidement énoncée par l’article 3 de la Constitution de 1946[16]. Cette affirmation générale se voit déclinée ensuite par les articles 11 et 89, chacun prévoyant pour sa part les modalités de cette intervention populaire, et cela tant en matière législative qu’en matière constitutionnelle. C’est d’ailleurs en cette dernière matière que le recours au peuple est le plus net, puisque l’article 89 dispose que si la révision de la Constitution repose sur une initiative de l’exécutif ou des parlementaires et qu’elle doit être votée par ces derniers, elle ne sera en revanche « définitive [qu’]après avoir été approuvée par référendum »[17] ; solution que la Constitution érige comme « de principe »[18]. Pour ce qui touche à l’adoption des lois, l’intervention populaire prévue et organisée par l’article 11 est alors restreinte -en 1958- aux trois domaines que sont « l’organisation des pouvoirs publics, comportant approbation d’un accord de Communauté ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions »[19]. La dernière hypothèse prévoyant le recours à la décision populaire figure à l’article 53, lequel subordonne toute modification du territoire national à l’accord préalable des populations intéressées[20].

Le principe de la décision du peuple est en outre un élément fondamental de l’ordre constitutionnel créé en 1958. Si la norme suprême comprend donc et cela dès son écriture, la possibilité de recourir au peuple comme législateur (ordinaire ou constitutionnel) le recours au peuple qu’elle prévoit se lit aussi de la décision du peuple qu’elle prévoit. Outre la participation du peuple à l’élaboration de la norme, la Constitution fait en effet de la décision populaire la valeur cardinale du fonctionnement politique. L’article 12, en ce qu’il permet de procéder à une dissolution de l’assemblée, rend les électeurs arbitres de l’opposition entre le Gouvernement et le pouvoir délibératif, permettant de dépasser les blocages politiques, car comme le relevait déjà Prévost-Paradol, « c’est l’usage opportun du droit de dissolution qui renvoie la représentation nationale devant son juge suprême et rétablit aussitôt entre la nation et ses députés l’accord indispensable au bien public »[21]. Il est d’ailleurs intéressant de relever que ce droit de dissolution devait, selon lui, être mis entre les mains du « monarque constitutionnel » qu’il appelle de ses vœux et que ce monarque à beaucoup de traits de ressemblance avec notre chef de l’État[22]. L’article 12, dont la mise en œuvre est dispensée de tout contreseing[23], assure la décision souveraine du peuple quant à la politique menée. Au-delà de l’usage du droit de dissolution, la décision du peuple est encore à même de contourner tout blocage politique susceptible d’empêcher la révision de la Constitution. Il en fut notamment ainsi en 1962 et 1969, en deux occasions où l’absence d’accord entre les chambres semblait rendre la révision de la Constitution impossible ; c’est bien alors la consultation directe du peuple qui remet la décision entre ses mains. Et d’ailleurs, ce qui a pu alors apparaître comme une véritable pratique contra legem s’est vu valider et par le Conseil constitutionnel[24] et par le peuple lui-même.

Le jugement du peuple est né de la pratique institutionnelle de la Ve République et a pris la forme de la responsabilité politique de l’exécutif devant lui. Née de la pratique gaullienne, cette responsabilité fait du peuple le décideur de la survie politique du chef de l’État. En effet, à rebours des dispositions de l’article 68 alors en vigueur et selon lesquelles « le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison », la pratique gaullienne des institutions instaure une véritable responsabilité politique du Président devant le peuple. Cette responsabilité apparaît comme la contrepartie des pouvoirs qu’attire à lui le chef de l’État qui considère qu’en cas de défaite électorale, c’est bien sa personne et sa politique qui se trouvent désavouées et qu’une telle situation implique nécessairement sa démission. Si cette réalité ne se ressentait peut-être pas véritablement à l’occasion des premiers référendums de 1961 et 1962 sur la situation et le devenir institutionnel de l’Algérie, cela fut très présent au cours des autres consultations, en novembre 1962 et en avril 1969. D’ailleurs, le peuple ne s’y trompa pas, qui n’hésita pas à sanctionner le Président sur son projet de 1969 mêlant la réforme du Sénat et la régionalisation, obtenant à l’instant la démission du guide désavoué.

            Le peuple est donc bien mis au cœur des institutions de la Ve République et cela, tant par les textes que par la pratique. Que ce soit le principe du recours au peuple ou les éléments permettant d’en faire un juge suprême tous les éléments de sa participation reflètent le rôle fondamental de cet acteur cardinal. Par ailleurs, on notera que cette intervention n’est pas strictement délimitée à la période gaullienne, car les évolutions constitutionnelles ultérieures renouvelleront le principe de cette intervention.

B- Une intervention renouvelée

Si le peuple est bien à la source de la République et si le régime politique qui est le nôtre prévoit la participation active du peuple, cette réalité ne s’arrête pas aux commencements de la Ve République. L’observation des modes de fonctionnement du système politique français atteste que le rôle du peuple s’est vu continuellement réaffirmé depuis 1958. L’ensemble des révisions constitutionnelles intervenues depuis cette date s’inscrit en ce sens, toutes prévoyant une intervention renouvelée du peuple dans la vie politique française. Un constat semblable peut être dressé à l’examen de la jurisprudence constitutionnelle.

Toutes les réformes constitutionnelles intervenues depuis 1958 et touchant à l’intervention populaire dans le fonctionnement de notre système politique s’inscrivent dans le sens d’une extension de la possibilité donnée au peuple de se prononcer. À tout Seigneur tout honneur, il sera d’abord rappelé que la révision constitutionnelle intervenue en novembre 1962[25] -et d’ailleurs intervenue par votation référendaire- avait précisément pour objet de faire du peuple l’acteur central de la désignation du chef de l’État, puisqu’il s’agissait que celui-ci soit à l’avenir désigné au suffrage universel direct, en lieu et place du scrutin indirect institué en 1958 et prévalant jusqu’alors. Cette révision prend sous cet angle une tournure symbolique et annonciatrice, car nombreuses furent celles intervenues ultérieurement à s’inscrire dans ce mouvement. Ainsi en fut-il en particulier de la révision intervenue le 4 août 1995 dont le premier objet était bien de porter extension du champ d’application de l’article 11. Cette révision ajoute au premier alinéa de l’article 11, la faculté d’organiser un référendum portant « sur des réformes relatives à la politique économique, sociale de la nation et aux services publics qui y concourent ». La réforme alors intervenue apparaît comme la résultante d’un long et difficile processus, car l’idée d’étendre le champ de l’article 11 remonte à 1984 et à la tentative de François Mitterrand d’étendre la possibilité de recourir au référendum pour tout texte ayant trait « aux garanties fondamentales des libertés publiques »[26]. Le Comité consultatif pour la révision de la Constitution réuni en 1992 sous la présidence du Doyen Vedel faisait d’ailleurs déjà part de son intérêt pour une telle réforme[27]. Cette réforme visait bien à favoriser une meilleure participation du peuple et ce aux dires mêmes du rapporteur du projet de loi constitutionnelle devant l’Assemblée nationale[28]. D’ailleurs, il est à noter que ce souci de favoriser la participation aux affaires publiques se vérifiait, au-delà de la sphère constitutionnelle, au plus près des citoyens puisque c’est en 1992 que fut donné un cadre législatif à la pratique du « référendum local »[29] et qu’en 1995 l’initiative populaire fut reconnue en la matière[30]. Enfin, la révision de 2004 instituant la Charte de l’environnement s’inscrit encore dans ce mouvement puisqu’elle consacre, par son article 7, le droit pour toute personne « de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement »[31] ; même si ce droit spécifique ne s’applique qu’au seul domaine de l’environnement, il s’inscrit dans ce mouvement d’une plus grande implication du populaire sur les affaires communes.

Sans s’y attarder trop longuement, il pourra tout de même être relevé que la révision constitutionnelle de 2003 s’inscrivit également dans cette ligne, avec l’institution d’un article 72-1 donnant un caractère décisionnel aux consultations intervenues localement et facilitant la possibilité donnée aux citoyens d’obtenir, par pétition, l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante d’une question relevant de sa compétence[32]. Par la suite, la révision du 1er mars 2005 introduisit un article 88-5 instituant une procédure de référendum obligatoire pour toute nouvelle adhésion à l’Union européenne[33]. Enfin, la plus récente des révisions intervenues, celle du 23 juillet 2008 comprend de claires innovations visant à remettre le peuple au centre de la vie politique : ainsi de l’institution du référendum d’initiative partagé (3e alinéa nouveau de l’art. 11) ou de la possibilité de saisine du Conseil économique, social et environnemental par voie de pétition (3e alinéa de l’art. 69). Il est d’ailleurs à noter que le rapport rendu quelques mois plus tôt par la commission présidée par Edouard Balladur évoquait précisément la nécessité de droits nouveaux pour le citoyen et appelait à l’instauration d’un tel droit d’initiative populaire[34].

L’examen de la jurisprudence constitutionnelle vérifie elle encore ce constat de l’intervention renouvelée du peuple dans la pratique politique. Sans qu’il soit nécessaire de procéder à un recensement exhaustif de l’ensemble des décisions intervenues et intéressant le peuple, il sera vérifié que son intervention est toujours jugée cardinale et qu’elle ne saurait être contournée. Ainsi en est-il spécialement de sa décision formulée qui ne saurait être ni contrôlée, ni contournée ; tout spécialement en cas d’évolution majeure touchant à l’identité constitutionnelle de la France. L’intervention populaire est en effet sans appel puisque « le recours au référendum manifeste l’idée selon laquelle le peuple, quelle que soit la valeur juridique de la procédure suivie pour l’interroger, manifeste une puissance suprême qui n’est autre que celle du souverain »[35], ce qui explique la décision d’incompétence du Conseil constitutionnel et le refus de procéder à tout contrôle du suffrage populaire. Vérifiée hier en matière de révision référendaire de la Constitution[36], cette solution s’est vue logiquement étendue aux lois référendaires[37] et encore récemment confirmée en matière de question prioritaire de constitutionnalité[38]. Le Conseil a ainsi et fort logiquement, étendu au contrôle a posteriori de la loi, la solution classiquement mise en œuvre dans le contrôle a priori. La dimension absolue de l’intervention populaire s’est encore vue reconnue par le Conseil constitutionnel sous l’angle de la question cruciale des rapports entre l’ordre constitutionnel interne et l’ordre juridique de l’Union européenne. Confronté à la délicate question de la mise en cause de la constitutionnalité d’une loi effectuant la transposition d’une directive, le Conseil reconnaît certes la nécessité de la transposition, mais avec une réserve fondamentale, celle de l’accord du constituant, dès lors que les valeurs fondamentales de la nation se voyaient affectées. Il jugea en effet que «la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti »[39]. Au regard de l’importance des mots utilisés et des valeurs qu’ils recouvrent, c’est bien au seul peuple constituant qu’il est fait allusion tant il est vrai que l’on ne saurait imaginer que le pouvoir institué puisse choisir de mettre fin à un tel « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France » sans accord populaire explicite[40]. Quand bien même la méthode suivie serait alors, d’un strict point de vue procédural, inattaquable, elle n’en arriverait pourtant pas moins à devoir « angéliquement considérer que la souveraineté nationale est intacte puisque c’est le constituant français qui a accepté cette situation »[41].

L’examen de la Constitution et de ses modifications ainsi que celui de lois ou de la pratique contentieuse atteste bien de l’invocation constante du peuple comme titulaire de tout pouvoir ; pourtant au-delà de ces principes de nombreuses fois réaffirmés, l’étude de la vie politique française et de la pratique des institutions permet de vérifier qu’une véritable convention de la Constitution s’est mise en place pour écarter tout pouvoir décisionnel direct du peuple. Celui-ci, telle la statue du Commandeur, apparaît en retrait et jamais ni consulté, ni écouté ; il est un contrepouvoir évincé.

II- Le peuple, un contrepouvoir évincé

À rebours de l’ensemble des dispositions constitutionnelles faisant de lui la source de tout pouvoir, il n’est pas difficile de constater que le peuple ne trouve guère de place dans la pratique démocratique contemporaine. Cela laisse à penser qu’a contrario des dispositions constitutionnelles mettant sur un pied d’égalité la liberté des Anciens et celle ces Modernes, nous n’aurions de possibilité de fonctionnement politique que dans une démocratie ultra-représentative. Si le principe de l’intervention créatrice du peuple est gravé dans l’airain de la norme suprême et cela de manière toujours renouvelée, cette intervention ne s’effectue qu’au respect de conditions si draconiennes qu’elle apparaît en tous points contrôlée (A) ; par ailleurs et si d’aventure le contrôle de cette intervention s’avèrait insuffisant, c’est le constat de la mise à l’écart du peuple qui se vérifie (B).

A- Une intervention contrôlée

Le contrôle de l’intervention populaire tend à valider l’hypothèse voulant ne voir en lui qu’un souverain sous contrôle ; réalité se vérifiant de la pratique institutionnelle française. S’il est acquis que les « conventions de la Constitution » désignent des usages politiques en contradiction formelle avec des dispositions constitutionnelles écrites et qui ne peuvent se voir qualifiés expressément de « coutumes », il pourrait être considéré que l’encadrement ou le contrôle de l’intervention populaire en constitue une. Que l’on envisage celle-ci en matière de révision constitutionnelle, de loi ordinaire ou simplement même de décision locale, c’est bien la volonté de contrôler le peuple qui se vérifie.

La pratique institutionnelle vient en tout point contredire les dispositions validées par le peuple constituant lors du référendum du 28 septembre 1958 ; cela est patent au regard des modalités de mise ne œuvre de l’article de la Constitution. Le refus du recours au peuple constituant est manifeste et l’on constate que si la révision référendaire est bien considérée comme de principe[42], ainsi qu’il en résulte des dispositions de l’article 89, le choix du Congrès et donc de la voie parlementaire de révision constitutionnelle est systématique, au point que l’exception soit réellement devenue la norme, en contradiction explicite de l’intention droite du constituant. Si la chose est en soi surprenante, puisque la voie de la révision parlementaire n’était envisagée initialement que pour de simples modifications techniques ne nécessitant pas la mise en œuvre de la lourde ingénierie que suppose une consultation référendaire, elle est aggravée au regard de sa fréquence. En effet, sur les vingt-quatre révisions de la Constitution intervenues depuis 1958, une seule et unique réforme a suivi la voie prévue en 1958[43]. On observe là une remise en cause par les pouvoirs institués de la volonté originaire du peuple et comme il a pu être relevé, « voilà donc un réformisme constitutionnel qui, à la fois, se parlementarise, s’accélère et se densifie. Il illustre clairement la confiscation de la Cinquième République par les partis électoralement dominants, dans le cadre d’un jeu institutionnel qu’ils maitrisent parfaitement, qu’ils rectifient au besoin et dont ils profitent largement. Mais, il traduit le malaise (le mal-être ?) d’une classe politique qui finit par se trouver bien souvent désavouée par le peuple quand, toutefois, il a directement la parole »[44]. Témoigne d’ailleurs de cette réalité et l’essor significatif, constant, de l’abstention populaire[45] et la fréquence des alternances politiques[46] ou des votes en faveur de candidats ou de partis ne se reconnaissant pas dans le jeu politique ordinaire[47]

Par ailleurs, les conditions mises à l’intervention populaire corroborent la volonté de contrôler l’intervention populaire. Alors même que René Capitant considérait cette participation directe du peuple comme naturelle et légitime, la voyant naturellement s’inscrire dans l’avenir du jeu institutionnel français[48], les modalités ayant conduit à l’organisation de l’initiative populaire témoignent de la permanence de la réticence des élus envers leurs mandataires. Si l’hypothèse d’une reconnaissance de l’initiative populaire est évoquée de longue date[49], cette réforme ne prendra corps qu’à l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il sera par ailleurs rappelé que la mise en place de cette procédure, très lacunaire, interviendra encore après que l’Union européenne elle-même ait reconnu un tel pouvoir d’initiative aux citoyens européens, quand bien même sa mise en œuvre concrète témoigne, là encore, d’une certaine méfiance envers le peuple[50]. Pour ce qui touche à l’établissement de ce mécanisme en France, la réticence envers l’intervention populaire se vérifie au regard du mécanisme institué ; d’une part, il ne s’agit pas d’une initiative citoyenne mais, a maxima, d’une initiative partagée et d’autre part l’initiative est quasiment impossible au regard du seuil particulièrement élevé de signatures populaires demandées par le Constituant dérivé. Avant de préciser ces points, il sera relevé avec amertume que cet article 11 nouveau de la Constitution, issu de la réforme de 2008 aura dû attendre plus de cinq ans pour être en mesure d’être mis en œuvre[51]. La procédure instituée peut être qualifiée d’initiative partagée ou même, plus justement, d’initiative parlementaire minoritaire soutenue par le peuple, puisqu’en vertu du 3e alinéa de l’article 11, un référendum « portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». Cette exigence d’un cinquième des membres du Parlement ouvre simplement la voie à l’opposition parlementaire d’en appeler au peuple pour chercher à obtenir le vote d’une loi[52]. Par ailleurs le seuil fixé au dixième des électeurs atteste de la volonté de ne pas mettre en œuvre cette procédure et la comparaison avec les seuils fixés dans les pays prévoyant ce type de mécanisme permet de confirmer la réticence des représentants de la nation à donner la parole à celle-ci[53] ; sans même évoquer la brièveté du délai fixé[54]… Bref le dispositif institué vise explicitement à ne jamais être mis en oeuvre, le recours à ce référendum d’initiative dit partagée étant précisément impossible à réaliser.

Enfin il sera rappelé que lorsque fut, en 2013, un instant envisagé le recours à cette procédure de l’initiative partagée[55], elle se vit expressément rejetée par le président de la République lui-même, qui considéra que, « sur les sujets de société, la délibération législative est une garantie et qu’en outre le champ de l’article 11 de la Constitution est strictement limité et écarte les sujets de société »[56]. S’il est possible de considérer qu’il peut appartenir au président de la République de déterminer ce qui relève ou pas du champ référendaire, dans la mesure où personne ne sait précisément ce que désigne l’expression « sujet de société »[57], chacun constate le caractère navrant d’une telle polémique dans laquelle sont torturés et le droit et la langue[58], afin de justifier la non consultation du peuple, pourtant souverain par excellence. Par ailleurs, si la décision populaire nationale fait l’objet d’un regard méfiant, il en est de même en matière de consultations locales. En effet, si l’article 72-1 consacre bien depuis 2003 et un droit de pétition au bénéfice des électeurs des collectivités territoriales[59] et le fait que ces consultations locales possèdent un caractère décisionnel[60], cela ne saurait être interprété comme conduisant à l’instauration d’une consultation d’initiative populaire. La pétition en cause ne saurait en aucun cas conduire à l’organisation d’un référendum local, puisque son seul effet réside dans le fait d’obtenir l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de la dite collectivité d’une question relevant de sa compétence et visant à permettre un débat ; si une consultation décisionnelle peut bien être organisée, elle reste à la seule initiative des dirigeants des collectivités. Il n’y a pas de lien de causalité entre le premier et le second alinéa de l’article 72-1 et le droit de pétition ne confère donc aucun droit à l’organisation d’une consultation référendaire décisionnelle[61].

Ce bref examen des conditions permettant la mise en œuvre de ce qu’il est convenu d’appeler la démocratie-semi directe à la française témoigne du souhait des représentants de maintenir le peuple dans une sujétion contrôlé, titulaire incontestable d’un pouvoir dont il est estimé qu’il ne saurait réellement sérieusement vouloir l’exercer directement. Cette impression sort enfin renforcée de l’étude de la pratique de ces mécanismes, car l’intervention du peuple, loin d’être simplement contrôlée, tend à se voir écartée.

B- Une intervention écartée

Insensiblement, par touches éparses et souvent sous couvert d’améliorations techniques, la possibilité concrète pour le peuple de prendre part aux affaires le concernant tend à se voir écartée. De fait et en dehors des élections politiques intervenant à dates fixes[62], ce sont tous les autres moyens de participation politique qui lui sont peu à peu retirés. Qu’il s’agisse de la mise en œuvre des procédures de consultations instituées, des modalités de désignation des collectivités territoriales ou de l’équivalence proclamée entre décision du mandant ou du mandataire, c’est la voie d’une sortie démocratique de la démocratie qui se dessine.

Le moment le plus significatif de la volonté d’écarter toute intervention populaire est sans doute intervenu au printemps 2013, lorsque le Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui se présente pourtant fièrement comme « la troisième assemblée de la République » déclara irrecevable la saisine citoyenne dont il faisait l’objet. On se souvient en effet que la révision de 2008 rénova le rôle du CESE, le constituant ayant souhaité donner des droits nouveaux aux citoyens[63], en ajoutant un 3e alinéa à l’article 69, en vertu duquel le CESE « peut être saisi par voie de pétition dans les conditions fixées par une loi organique. Après examen de la pétition, il fait connaître au Gouvernement et au Parlement les suites qu’il propose d’y donner » ; c’est deux ans et demi après sa création, qu’intervint la première saisine du CESE par voie de pétition citoyenne[64]. Or et alors même que le bureau du CESE constatait « que les conditions de nombre et de forme étaient réunies »[65], il déclarait irrecevable cette pétition au motif de la discussion concomitante d’un projet de loi relatif à l’objet de la pétition devant le Parlement. La décision semble curieuse, tant sur le fond que sur la forme. Sur le fond, alors que l’objet de la procédure instituée par le Constituant réside bien dans la volonté de favoriser le renouveau démocratique et la participation des citoyens, il est pour le moins curieux que cette première saisine citoyenne soit déclarée irrecevable. Sur la forme, il est inacceptable que le CESE agisse librement avec les compétences qui lui ont été confiées par le constituant et le législateur organique, pour refuser l’investissement démocratique des citoyens que la procédure instituée visait justement à favoriser[66].

La volonté ou à tout le moins l’effet, d’écarter la décision populaire se vérifie encore au niveau des collectivités territoriales, que ce soit à propos de leur mode de scrutin ou de leur délimitation. À l’occasion de la récente réforme du mode de scrutin affectant les communes comptant de 1000 à 2500 habitants et mettant fin, pour celles-ci au panachage[67] s’est vérifiée cette volonté d’écarter la décision populaire. En effet, l’un des aspects de cette réforme a été d’imposer un scrutin de liste obligatoire pour les municipalités comptant de 1000 à 2500 habitants. Très concrètement, cette mesure eut pour effet d’interdire la pratique du panachage par les électeurs, dans les communes comptant de 1000 à 2500 électeurs[68] ; panachage qui consiste à biffer certains candidats ou à en ajouter d’autres à une liste, voire à voter en faveur de personnes non candidates à l’élection. Deux raisons furent mises en avant à cette réforme, d’une part l’intérêt d’un scrutin de liste permettant de satisfaire à l’objectif de parité inscrit au premier article de la Constitution[69] ; d’autre part la nécessité de simplifier ce scrutin[70]. Le panachage se vit encore plus dénoncé par les élus et les débats furent l’occasion de dénoncer un mécanisme supposé « arbitraire et cruel »[71], aux « effets pervers »[72], permettant de « petits assassinats entre amis »[73] et pouvant même « déboucher sur une situation catastrophique »[74]. Ce déchainement d’oppositions et de critiques, bien curieux à l’encontre d’un mécanisme existant de très longue date et jamais réformé, apparaît d’autant plus bizarre que le panachage autorise au contraire l’électeur « à choisir librement parmi l’ensemble des candidats ceux qui lui semblent mériter d’être élus (…), respecte l’électeur en lui donnant un véritable pouvoir »[75]. Si la pratique du panachage expose incontestablement le candidat, il ne saurait y avoir système plus démocratique que celui qui oblige l’élu à l’être directement par ses pairs et de fait, sous cet angle, « le panachage heurte visiblement une pensée universaliste fatiguée et gestionnaire qui veut raboter toutes les aspérités et toutes les incertitudes. Le panachage est une singularité qui redistribue les cartes, bouge les lignes et donne aux citoyens une prise sur le réel »[76]. La suppression du panachage ne s’est d’ailleurs pas réellement vue contestée par les parlementaires comme en attestent leurs saisines du Conseil constitutionnel ; lequel aurait d’ailleurs sans aucun doute écarté toute contestation de cet abandon[77]. Aspect peu relevé d’une réforme de plus vaste ampleur, l’abandon du panachage s’inscrit un peu plus dans le mouvement de dépossession du peuple de son pouvoir et de sa mise à l’écart effective des décisions intéressant la communauté politique. Ce point se voit encore illustré par le projet de loi encore en discussion [en 2014] et relatif à la délimitation des régions ; en effet, les dispositions votées prévoient la suppression de l’obligation de consultation des électeurs et d’approbation par ceux-ci de tout regroupement de collectivités territoriales institué par le législateur en 2010[78]. La volonté d’écarter la décision populaire se vérifie enfin sous un angle plus strictement procédural et normatif.

Le respect des règles procédurales aux dépens de l’esprit de la Constitution manifeste encore la volonté d’écarter la décision populaire. Au-delà du fait déjà évoqué d’utiliser la procédure d’exception en lieu et place de celle de droit commun instituée pour réviser la Constitution[79], c’est encore la modification intervenue de l’article 88-5 qui doit être rappelée. La révision de 2005 instituant l’article 88-5[80] prévoyait un référendum obligatoire pour toute nouvelle adhésion à l’Union européenne ; or chacun sait que cette procédure s’est vue complétée en 2008 par l’ajout d’un second alinéa à cet article[81], commençant par le mot « toutefois » et ayant précisément pour objet de contourner l’obligation vertueusement instituée quelques mois plus tôt et exprimée par l’alinéa précédent[82]. Cette question du contournement du peuple par le représentant se vérifie enfin au regard de la modification de la décision du peuple par ceux-là même qui sont supposés en être les mandataires. C’est ici la question de la modification de la législation référendaire par le Parlement qu’il convient d’évoquer. Or, il a de longue date été jugé qu’une loi pouvait modifier une disposition législative adoptée par référendum[83] ; ce qui était acquis pour la loi organique a fait, sans surprise, l’objet d’une analyse identique en matière de loi ordinaire. Le Conseil a en effet alors jugé que « le principe de la souveraineté nationale ne fait nullement obstacle à ce que le législateur, statuant dans le domaine de compétence qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, modifie, complète ou abroge des dispositions législatives antérieures ; qu’il importe peu, à cet égard, que les dispositions modifiées, complétées ou abrogées résultent d’une loi votée par le Parlement ou d’une loi adoptée par voie de référendum »[84]. La loi ordinaire peut donc modifier ou abroger une loi référendaire ; si, d’un strict point de vue procédural, l’œuvre accomplie ne souffre pas la critique, chacun s’accordera à constater son insuffisante légitimité démocratique et populaire. La conclusion logique de cette approche est intervenue en 2008 lorsque les représentants ont ratifié un traité que le peuple législateur avait pourtant expressément refusé de ratifier ; un pouvoir institué peut donc effectuer la révision constitutionnelle qu’un autre pouvoir institué aurait refusé[85]… On ne serait pas complet si n’était en outre rappelé le refus catégorique de toute représentation proportionnelle au sein du Parlement, lequel manifeste clairement une défiance envers l’expression populaire et l’idée que la représentation nationale reflète la diversité des suffrages émis[86]

Au terme de cette analyse, que reste-t-il de la place du peuple et de son pouvoir dans la pratique institutionnelle de la Ve République ? C’est bien l’hypothèse d’une sortie démocratique de la démocratie qui semble se dessiner sous couvert du respect d’une démocratie exclusivement formelle et procédurale ; cette situation évoque irrésistiblement les mots prophétiques de Brecht lorsqu’il observait à l’encontre du gouvernement communiste est-allemand : « j’apprends que le gouvernement estime que le peuple à « trahi la confiance du régime » et « devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités ». À ce stade, ne serait-il plus simple de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ? »[87]. En attendant ce grand remplacement, le peuple, officiellement consacré comme source de tout pouvoir ne joue plus aujourd’hui qu’un rôle faire-valoir, dans un système qui n’a, en définitive, de démocratique que le fait qu’il se prétende tel[88].


[1] Stéphane Caporal, « Le peuple : un souverain sous contrôle », Politeia, 2009-16, p. 533.

[2] S. Caporal, « Le peuple : un souverain sous contrôle », op. cit., p. 558.

[3] Cette réalité est bel et bien exprimée par les dispositions du premier alinéa de l’article trois de la Constitution qui retranscrit en 1958 les mots figurant dans la rédaction de ce même article trois de la Déclaration de 1789 ; l’hypothèse est corroborée par le second alinéa en vertu duquel « aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice » ; c’est bien le peuple entier qui exerce la souveraineté et l’exprime en désignant ses représentants. Ce dernier aspect est d’ailleurs confirmé par la prohibition du mandat impératif figurant dans l’art. 27 de la Constitution.

[4] C’est à la faveur du coup d’état du 2 déc. 1851 que le président Bonaparte conserve le pouvoir, soldant son conflit avec l’Assemblée, mais il se prétend à cette occasion le défenseur des droits du peuple dont il sollicite immédiatement la confiance, renouant avec la pratique du césarisme démocratique inaugurée par son oncle. Le peuple valide ainsi d’abord le coup d’état, par son vote des 20 & 21 déc. 1851 (dont résultera le régime sui generis du 14 jan. 1852), puis le rétablissement de l’Empire, les 21 & 22 nov. 1852. Pourtant si cette pratique ne possède assurément de démocratique que le vocable dont elle se couvre, il n’en est pas moins certain que ce « principe de l’appel au peuple, [constitue un] hommage éclatant rendu à la souveraineté populaire par celui-là même qui l’a confisquée », comme le notait Jean-Jacques Chevallier, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à nos jours, 7e éd., Dalloz, 1985, n° 179, p. 245. Par la suite si le boulangisme s’affirmera antiparlementaire, il « fait appel au peuple pour qu’il donne le pouvoir à l’homme fort et responsable, Boulanger, après dissolution de la Chambre impuissante et révision de la Constitution dérisoire », ibid., n° 278, p. 373.

[5] André Tardieu, Le souverain captif, Flammarion, 1936, ouvrage qui constitue le tome premier d’une œuvre globale qu’il choisit de nommer, de manière révélatrice, « La révolution à refaire ».

[6] La formule figure dans La loi, expression de la volonté générale, où, parlant du régime parlementaire français, Carré de Malberg observe : « il réalise en cela ce qu’on pourrait appeler le parlementarisme absolu, au sens intégral du mot, c’est-à-dire un régime dans lequel le Parlement, devenu maître sur toute la ligne, domine complètement l’Exécutif », Sirey, 1931, n° 19, p. 196.

[7] Carré de Malberg, « Considérations théoriques sur la combinaison du référendum avec le parlementarisme », RDP, 1931, p. 225.

[8] On relèvera également que le vote des 9 et 10 juillet 1940 prévoyait déjà que la future Constitution qu’était chargé de préparer le Maréchal Pétain fasse l’objet d’une adoption référendaire.

[9] L’intervention du peuple par la voie du référendum était prévue en matière constitutionnelle par le 3e alinéa de l’art. 3 de la Constitution du 27 octobre 1946.

[10] Préface au livre de J.-L. Debré, La Constitution de la 5e République, PUF, 1975, p. 6.

[11] Georges Vedel, « Le hasard et la nécessité », Pouvoirs, 1989, n° 50, p. 15.

[12] Sauf indication contraire toutes les références faites par des articles le sont à la Constitution du 4 oct. 1958.

[13] Avec cet article deux, la Ve République se borne d’ailleurs à faire sienne la formule fixée par l’article deux de la Constitution du 27 octobre 1946 reprenant la formule de Lincoln prononcée lors du discours de Gettysburg, prononcé le 19 novembre 1863 à l’occasion de la consécration du cimetière réunissant les très nombreux morts de cette bataille intervenue début juillet de la même année. Lincoln y déclare précisément « à nous de décider que le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, ne disparaîtra jamais de la surface de la terre ».

[14] 3e al. de l’article unique de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 (JO du 4, p. 5326).

[15] L’article précisant par son second alinéa qu’aucune de ses sections ne pouvait s’en attribuer l’exercice.

[16] Cependant, si celle-ci prévoyait bien l’intervention populaire par la voie du référendum, ce n’était qu’en matière constitutionnelle et l’on sait que cette faculté ne fut jamais utilisée entre 1946 et 1958. La Constitution disposait, au premier alinéa de son art. 3, « la souveraineté nationale appartient au peuple français » et poursuivait au 3e alinéa dudit article « le peuple l’exerce, en matière constitutionnelle, par le vote de ses représentants et par le référendum ».

[17] 2e al. de l’art. 90 C. Il sera sans doute relevé que le 3e alinéa réserve, par exception, la possibilité de procéder à la révision par la voie du Congrès ; toutefois il ne s’agit là que d’une exception à la règle fixée au second alinéa, laquelle est envisagée comme la procédure de droit commun de révision de la Constitution, en vertu du parallélisme des formes : ce que le peuple a institué, il appartient au peuple de le modifier. La lecture des documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution de 1958 (DPS) ne laisse aucun doute à ce sujet ; la procédure existante est mentionnée dans l’avant-projet du 15 juil. 1958 (DPS, t. 1, p. 440) ne fait l’objet d’aucune proposition de modification, ni par le groupe de travail (DPS, t. 1, pp. 443-447), ni par le Conseil de cabinet (DPS, t. 1, p. 493). Lorsque cette question est évoquée devant le Comité consultatif constitutionnel émanant de l’Assemblée nationale, M. Janot, commissaire du Gouvernement, explique clairement que le projet de révision : « doit être voté par les deux assemblées en termes identiques (…). Ensuite, il doit y avoir approbation par le référendum. Telle est la règle » (DPS, t. 2, p. 74), quand le Garde des Sceaux précise bien devant ses membres « le référendum est la voie normale de révision » (DPS, t. 2, p. 74). Par la suite, les Commentaires sur la Constitution de 1958, publiés en avril 1959, précisent sur ce point « il faut ensuite, nécessairement, que le texte voté soit adopté par référendum » (DPS, t. 4, p. 204).

[18] Olivier Gohin, Droit constitutionnel, 2e éd., LexisNexis, 2013, n° 604, p. 615.

[19] Deux des cas envisagés étaient d’ailleurs purement circonstanciels. La référence à la Communauté n’ayant pas d’utilité en dehors de celle-ci et l’on sait qu’elle prendra fin dès l’automne 1960, sa caducité étant constatée au printemps 1961. L’hypothèse de la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions était directement issue des circonstances ayant entouré la négociation et le vote du traité instituant la Communauté Européenne de Défense en 1952-1954 ; il s’agissait de permettre le recours au peuple si d’aventure un traité semblable devait être signé. Il ne reste donc finalement que la question cruciale de l’organisation des pouvoirs publics pour laquelle un référendum est possible.

[20] En vertu du 3e alinéa de cet art. 53 : « nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ». S’il ne s’agit pas ici, bien évidemment, de la décision du « peuple », tel que l’entendent les articles 3, 11 et 89, cette disposition s’inscrit néanmoins dans l’élan nouveau que traduit la Constitution de 1958 de faire une place plus grande à la décision populaire dans le fonctionnement institutionnel.

[21] Prévost-Paradol, La France nouvelle, Michel Lévy frères, Paris, 1868, p. 143. Il précise d’ailleurs par une formule générale que l’actualité rend plus encore significative, « le plus grand péril que puisse courir la liberté et par contrecoup l’ordre dans le gouvernement parlementaire, c’est l’existence d’un désaccord entre les pouvoirs publics et l’opinion générale. Quand l’autorité légale est d’un côté et l’opinion de l’autre, la révolution est aux portes, et l’on peut ajouter, dans le temps où nous vivons, l’ordre social est en péril », ibid. p. 142.

[22] En ce qui concerne le droit de dissolution, Prévost-Paradol notait que « ce grand service national (…) est à nos yeux l’office propre et particulier du monarque constitutionnel. Placé au-dessus des partis, n’ayant rien à espérer ni a craindre de tours rivalités et de leurs vicissitudes, son unique intérêt, comme son premier devoir, est d’observer avec vigilance le jeu de la machine politique, afin d’y prévenir tout grave désordre », ibid. pp. 144-145 ; la résonnance est nette avec les mots prononcés à Bayeux et par lesquels De Gaulle évoque un « chef de l’État, placé au-dessus des partis » et auquel appartient « l’attribution de servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine ».

[23] Le droit de dissolution figure en effet dans l’énumération qu’effectue l’article 19 des actes dispensés de tout contreseing, ce qui rend sa mise en œuvre de la compétence exclusive du chef de l’État.

[24] CC, décision n° 62-20 DC, 6 nov. 1962, Loi référendaire, « les lois que la Constitution a entendu viser dans son article 61 sont uniquement les lois votées par le Parlement et non point celles qui, adoptées par le Peuple à la suite d’un référendum, constituent l’expression directe de la souveraineté nationale », §2.

[25] Loi constitutionnelle n° 62-1292 du 6 nov. 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel.

[26] Proposé au cœur de la querelle scolaire, le projet avait été bloqué par le Sénat qui ne voyait en lui qu’un subterfuge permettant au chef de l’État de sortir de l’impasse politique dans laquelle il se trouvait.

[27] Rapport du Comité consultatif pour la révision de la Constitution, JO du 16 fév. 1993, spéc. pp. 2538 & 2549.

[28] Selon Pierre Mazeaud, « l’heure est venue d’associer davantage le peuple aux grandes orientations de la politique de la Nation » et cette « extension du champ référendaire devrait contribuer à enrayer le désintérêt des citoyens pour la vie politique en dehors des consultations électorales majeures » ; précisant en outre « le référendum législatif a le mérite de la clarté et débouche sur une véritable prise de décision par le peuple », rapport n° 2138 sur le projet de loi constitutionnelle portant extensionduchamp d’application du référendum, JO AN, 5 juil. 1995.

[29] Art. 21 de la loi n° 92-125 du 6 fév. 1992 relative à l’administration territoriale de la République (JO du 8, p. 2064) instituant un chapitre V au sein du Code des communes (art. L. 125-1 à 7) ; il est toutefois précisé que le scrutin ne possède alors de valeur que consultative. La même loi, toujours afin de favoriser l’implication active du peuple dans le fonctionnement de la démocratie locale, institutionnalisait le recours aux conseils consultatifs municipaux (il s’agissait alors de l’art. L. 121-20-1 du Code des communes aujourd’hui codifié sous l’art. L. 2143-2 CGCT ; v. Bertrand Pauvert, « Le recours aux conseils consultatifs municipaux », BJCL, 2012-3, p. 170). On peut encore relever que depuis la fin des années 1970 de nombreux textes se sont efforcés de promouvoir une plus grande implication des citoyens dans le processus décisionnel, spécialement par l’essor des procédures de consultation. Il a d’ailleurs parfois été évoqué, à propos de ce mouvement, l’émergence d’une hypothétique démocratie participative : v. Jean-Marie Denquin, « Démocratie participative et démocratie semi-directe », Cahiers du Conseil constitutionnel, 2008-23.

[30] La loi instaure alors deux articles L. 125-2-1 et L. 125-2-2 au Code des communes, en vertu desquels « un cinquième des électeurs inscrits sur les listes électorales peuvent saisir le conseil municipal en vue de l’organisation d’une consultation sur une opération d’aménagement relevant de la décision des autorités municipales » (l’art. L. 125-2-2 organise la même faculté dans le cadre des EPCI).

[31] Art. 7 de la Charte de l’environnement issu de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005.

[32] Loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.

[33] Loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 modifiant le titre XV de la Constitution ; il est cependant à noter ici que la révision ultérieure du 23 juillet 2008 a rendu facultatif ce référendum obligatoire (le seul jamais institué en France) en introduisant un second alinéa à cet article 88-5, alinéa permettant le recours à la procédure du Congrès.

[34] Une Ve République plus démocratique, Rapport du Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la 5e République, proposition n° 67.

[35] Bertrand Mathieu, Institutions politiques et droit constitutionnel, 24e éd., LGDJ, 2012, n° 130, p. 100.

[36] CC, décision n° 62-20 DC, 6 nov. 1962, Loi référendaire, §2.

[37] CC, décision n° 92-313 DC, 23 sept. 1992, Maastricht III, §2.

[38] CC, décision n°2014-392 QPC, 25 avr. 2014, Province Sud de Nouvelle-Calédonie, §7 et 8.

[39] CC, décision n°2006-540 DC, 27 juil. 2006, Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information, §19.

[40] Bien évidemment on ne saurait savoir avec précision ce qui pourrait constituer un tel « principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France », tant il est vrai que le Constituant n’en a pas fourni de liste exhaustive et que, par ailleurs, le Conseil constitutionnel n’en a identifié aucun depuis 2006 (ce qui pourrait d’ailleurs être de nature à considérer que l’essor de l’Union européenne ne met en cause aucun principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France). Pour autant, une telle décision de remettre en cause un tel principe ne pourrait être le fait que de la nation elle-même qui pourrait alors décider de mettre ainsi fin à son existence en tant que nation, comme le relevait déjà Léon Duguit : « c’est parce que la nation est la nation qu’elle a la souveraineté, si elle aliénait la souveraineté, elle disparaîtrait comme nation », Manuel de Droit Constitutionnel, Fontemoing, Paris, 1907, n° 30, p. 132.

Depuis l’écriture de cet article, le Conseil a identifié un tel principe, celui de « l’interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l’exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits », décision n° 2021-940 QPC, 15 oct. 2021, S Air France, §15.

[41] Anne-Marie Le Pourhiet, Droit constitutionnel, 4e éd., Economica, 2012, p. 281. Il y aurait alors lieu de se demander s’il n’existerait pas un principe constitutionnel non-écrit, celui du droit perpétuel appartenant à la nation de déterminer elle-même son avenir et ce à rebours de toute disposition entérinant autre chose. En vertu de ce principe toute disposition allant à l’encontre serait ipso facto nulle et non avenue. Parmi les précédents susceptibles d’être invoqués à l’appui de cette approche, vient notamment le Traité de Troyes de 1420 qui remettait en cause les lois fondamentales du royaume de France et sera pourtant enregistré par l’Université de Paris et les états généraux de langue d’oïl ; plus près de nous c’est à la situation du vote par l’Assemblée nationale des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain que se rapporterait une telle disposition.

[42] V. supra, note 17.

[43] La révision du 4 juin 1960 relative à la Communauté empruntait la voie spécifique de l’article 85 (LC n° 60-525 ; l’art. 85, devenu sans objet, a été supprimé en 1995), celle du 6 novembre 1962 eut lieu par voie référendaire, mais en application de l’article 11 (LC n° 62-1292) et ce ne sera qu’à l’occasion de la réduction à cinq ans de la durée du mandat présidentiel qu’intervint la première utilisation de la procédure prévue en 1958, celle du 2e alinéa de l’article 89 (LC n° 2000-964 du 2 oct. 2000).

[44] O. Gohin, Droit constitutionnel, 2e éd., LexisNexis, 2013, n° 616, p. 619.

[45] L’essor de l’abstention, toutes élections confondues ne se dément guère et la participation en reste à un taux historiquement très faible Par ailleurs, « le phénomène de l’abstention fait clairement ressortir le désintéressement du peuple pour la chose publique, ce, avec la complicité tacite des dirigeants dont l’élection, si elle devait être soumise à la règle du quorum, serait loin d’être acquise », relève justement Cédric Milhat, « La souveraineté du/des peuple(s) : utile/ultime contre-pouvoir face à l’État et à l’Union européenne ? », communication au VIIe Congrès de l’AFDC, Paris, 2008, p. 7. Témoignent de ce dernier aspect les modalités de la pseudo-reconnaissance du vote blanc intervenue en février 2014 : la réforme ne constitue en effet qu’un comptage du vote blanc et non sa reconnaissance, puisque ces suffrages blancs ne sont toujours par reconnus et comptabilisés comme des suffrages exprimés (loi n° 2014-172 du 21 fév. 2014 visant à reconnaître le vote blanc aux élections, JO du 22, p. 3138 ; v. art. L. 65 du Code électoral). Compter les votes blancs comme des suffrages exprimés aurait conduit à devoir déclarer élus des candidats n’ayant pas obtenu la majorité absolue des exprimés (ce qui ne soulève d’ailleurs pas de difficulté en cas d’élection triangulaire) ; cela aurait toutefois rendu nécessaire une révision constitutionnelle, puisqu’en vertu de l’art. 7 C. « le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages exprimés ». En effet on se souviendra que François Hollande en 2012 n’a réuni au second tour que 48,62% des votants, à l’instar de Jacques Chirac, qui en 1995 ne reçut les suffrages que d’une majorité relative de 49,49% des électeurs s’étant déplacés…

[46] Depuis 1981, chaque élection nationale a connu une alternance politique entre la droite parlementaire et la gauche de gouvernement, à l’exception notable des présidentielles de 2007 (1981, 1988, 1997 et 2012 pour la gauche ; 1986, 1993, 1995, 2002 et 2007 en faveur de la droite).

[47] Depuis 2002, les votes en faveur des droite et gauches radicales, des chasseurs, écologistes et autres candidats se revendiquant en dehors du système oscille de 25% (en 2007) à 51% (en 2002) avec un score d’environ 33% en 2012 ; un constat semblable peut être fait au regard des résultats obtenus au premier tour des élections législatives.

[48] « On peut concevoir qu’à l’avenir les limitations qui restreignent actuellement l’exercice de sa souveraineté par le peuple puisse être élargies et que notamment l’initiative populaire permette un jour au corps électoral d’être saisi par les citoyens eux-mêmes », René Capitant, Écrits constitutionnels, Ed. du CNRS, 1982, p. 384.

[49] Dès 1993, le Comité Vedel proposait son inscription dans l’article 11 de la Constitution, Rapport du Comité consultatif pour la révision de la Constitution, JO du 16 fév. 1993, pp. 2549-2550.

[50] L’art. 11 al. 4 du TUE institue l’initiative citoyenne européenne (ICE) : « des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins, ressortissants d’un nombre significatif d’États membres, peuvent prendre l’initiative d’inviter la Commission européenne, dans le cadre de ses attributions, à soumettre une proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités ». La première ICE, intitulée « One of us » visait à interdire le financement par l’Union de la recherche embryonnaire et a été déposée en février 2014 ; or, après avoir constaté sa recevabilité et auditionné les soutiens de l’ICE, la Commission a décidé (au dernier jour de son mandat !) de ne pas lui donner suite et refusé dela transmettre au Parlement et au Conseil européens : Commission Européenne – IP/14/608, 28 mai 2014. Un recours a été formé devant le Cour de Justice de l’Union contre cette décision.

[51] Il s’agit en effet de la modification de la Constitution intervenue en 2008 qui aura reçu le plus tardivement ses textes d’application, puisque la loi organique ne se verra adoptée qu’en décembre 2006 : LO n° 2013-1114 du 6 déc. 2013 portant application de l’article 11 de la Constitution (JO du 7, p. 19.937).

[52] Et non pas d’ailleurs pour chercher à contrer une loi en cours d’adoption, puisque ce même alinéa dispose que « cette initiative (…) ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an ». Sur cette question, v. Bertrand Pauvert, Le recours au référendum d’initiative partagée.

[53] À titre d’exemple, l’initiative populaire en Suisse est offerte à une pétition signée par 50.000 électeurs sur un total d’un peu plus de 1,5 million d’inscrits, soit environ 3,33% (pour les demandes d’abrogation de lois ; pour l’initiative elle n’est possible qu’en matière constitutionnelle et exige cette fois-ci 100 000 signatures, soit 6,6% des électeurs)… En Italie, l’initiative visant à organiser un référendum d’abrogation (ou un référendum constitutionnel) doit émaner de 500 000 électeurs (à la condition que la loi n’ait pas été adoptée à une majorité des 2/3 ; le corps électoral italien étant d’environ 50 millions d’électeurs cela correspond à une pétition présentée par 1% du corps électoral). La comparaison des seuils exigés atteste bien des limites de la réforme française.

[54] Compte-tenu de la taille du corps électoral français, cela représente environ quatre millions cinq cent mille signataires qui doivent exprimer leur demande ; d’une part exclusivement par voie électronique (art. 5 de la LO n° 2013-1114) et d’autre part dans un bref délai de neuf mois (art. 4 de la LO n° 2013-1114)… À titre de comparaison, pour l’initiative citoyenne européenne, qui réclame un million de signatures émanant d’un quart des États-membres, le délai laissé est d’une année entière…

[55] Et en dehors même de la difficulté soulevée par l’absence des dispositions d’application, non encore votées.

[56] Déclaration effectuée à l’occasion de ses vœux aux parlementaires, le 15 jan. 2013, v. not. Charlotte Roman, « Mariage gay : les députés UMP repeuplent l’Assemblée », Libération, 16 jan 2013 et « Pas de référendum sur le mariage », Le Figaro, 16 jan 2013.

[57] Bruno Daugeron, « Mariage « pour tous » : retour sur la constitutionnalité du référendum », Rec. Dalloz, 2013, p. 320. Lequel de préciser « il est finalement vain de dénier telle ou telle signification, puisqu’elle (l’expression « sujet de société ») n’en recevra une qu’à travers celle qui lui sera donnée par l’organe compétent décidant que telle question en relève » i.e. le président de la République.

[58] Ainsi de la création du néologisme « sociétal » supposé se distinguer de la « politique sociale » mentionnée au premier alinéa de l’article 11…

[59] Premier alinéa de l’art. 72-1.

[60] Second alinéa de l’art. 72-1.

[61] V. art. L. 1112-16 CGCT.

[62] Et encore, on ne peut que constater la fréquence avec laquelle les représentants élus de la nation prennent la liberté de reculer les dates prévues pour les élections, au regard de considérations de basse politique. L’argument fréquemment invoqué résidant dans le fait que le peuple « voterait trop souvent » ; c’est ainsi que le porte-parole du gouvernement Mme Najat Vallaud-Belkacem a pu justifier un premier report à 2015 des élections régionales et départementales « pour éviter la concentration des élections en 2014 », au regard du fait qu’étaient déjà prévus des scrutins municipaux, européens et sénatoriaux (lequel ne concerne pourtant qu’une minorité d’électeurs, pour lesquels la participation est d’ailleurs obligatoire sous peine d’amende ; v. art. L. 318 du code électoral). C’est ainsi que la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux (…) et modifiant le calendrier électoral (JO du 18, p. 8242) repoussait à mars 2015 la date de ces élections ; cela avant que la même Assemblée ne se voit saisie d’une seconde demande de report de ces élections, cette fois-ci jusqu’à décembre 2015, en vertu d’un projet de loi adopté en conseil des ministres, le 18 juin 2014. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le Conseil constitutionnel n’avait validé le report intervenu en 2013 qu’au regard du caractère strictement limité à un an de celui-ci : « ce report, limité à un an, n’a pas pour effet de méconnaître le principe selon lequel les électeurs doivent être appelés à exercer leur droit de suffrage selon une périodicité raisonnable », CC, décision n° 2013-667 DC, 16 mai 2013, Loi relative à l’élection des conseillers (…) et modifiant le calendrier électoral, §62.

[63] Comme l’y invitait le rapport rendu par le comité présidé par Edouard Balladur, Une Ve République plus démocratique, La Doc. fr., 2007, p. 73. Voir LO n° 2010-704, du 28 juin 2010 relative au CESE (JO du 29, p. 11633) et CC, décision n° 2010-608 DC, 24 juin 2010, Loi organique relative au CESE.

[64] V. B. Pauvert, « La saisine du Conseil économique, social et environnemental par voie de pétition », JCP Adm, 2013, n° 196 ; la pétition, soutenue par 700 000 signataires portait sur le projet de loi relatif au mariage homosexuel.

[65] CESE, délibération du bureau du 26 fév. 2013, www.lecese.fr/sites/default/files/communiques/CP%20bureau%20260213%20petition%20citoyenne_0.pdf,

[66] Cette situation était d’ailleurs prévisible : « le CESE connaîtra le dilemme de la suite à donner à la demande et vivra certainement des moments délicats (…) d’autant qu’à ce jour aucun recours n’est prévu en cas d’irrecevabilité de la pétition », notait Marie de Cazals, « La saisine du CESE », RFDC, 2010, p. 303. Un recours est d’ailleurs intervenu, la justice étant saisie de la légalité de cette curieuse décision ; par un jugement du 30 juin 2014, le Tribunal administratif de Paris annulait la délibération du 26 février 2013 par laquelle le bureau du CESE déclara irrecevable la pétition déposée, TA Paris, 30 juin 2014, M. Brillaut, req. 13-05796/6 ; on se permettra de renvoyer à notre étude, « Annulation de la décision d’irrecevabilité d’une pétition par le Conseil économique, social et environnemental », JCP Adm, 2014, n° 623.

[67] Loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral (JO du 18, p. 8242).

[68] Les listes de candidats étaient déjà obligatoires pour les communes comptant de 2500 à 3500 habitants, mais la pratique du panachage y restait libre pour les électeurs.

[69] Projet de loi n° 166 relatif à l’électiondesconseillers départementaux, desconseillersmunicipauxet desdélégués communautaires, etmodifiantlecalendrierélectoral, Sénat, 28 nov. 2012, p. 7 : « cette modification des modalités applicables aux élections municipales permettra en outre d’améliorer la parité au sein des conseils municipaux ».

[70] Aux dires mêmes du Premier ministre, « abaisser le seuil, c’est enfin simplifier, rendre plus transparente l’élection municipale. Le panachage, s’il est adapté aux communes les moins peuplées, complexifie l’élection », Manuel Valls, Sénat, compte-rendu intégral, séance du 15 jan. 2013, JO Sénat, 16 jan. 2013, p. 75 (v. aussi pp. 77 et 94).

[71] René Vandierendonck, cité dans, Michel Delebarre, rapport n° 250 sur le projet de loi organique relatif à l’électiondesconseillers municipaux (…), Sénat, 19 déc. 2012, p. 114.

[72] M. Delebarre, rapport n° 250 précité, p. 61.

[73] Pierre-Yves Collombat,rapport n° 250 précité, p. 113.

[74] Cela, dans l’hypothèse ou la « tête » de l’équipe se présentant aux suffrages et « maire pressenti » ne rallierait pas suffisamment de voix des électeurs : Michel Savin, Sénat, compte-rendu intégral, séance du 18 jan. 2013, JO Sénat, 19 janvier 2013, p. 290.

[75] B. Pauvert, Elections et modes de scrutin, 2e éd., L’Harmattan, 2006, p. 18.

[76] Alain Daziron, « Le panachage, un outil de démocratie locale à préserver », Esprit, n° 2014-2, p. 117.

[77] En effet, d’une part il n’a soulevé d’office aucun moyen à l’encontre de cette disposition et d’autre part si la suppression du panachage avait été contestée par les requérants, elle se serait vue validée au regard de la volonté du législateur d’assurer la parité au sein des conseils municipaux : solution déduite par analogie de l’argumentation développée par le Conseil à propos des conseils départementaux, CC, décision n° 2013-667, 16 mai 2013, Loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux…, §15.

[78] Projet de loi n° 635 relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, Sénat, 18 juin 2014 (art. 3). En application de l’art. 3, tel qu’il a été voté par l’Assemblée nationale, la loi supprime les art. L. 3114-1-II, 4123-1-II et 4124-1-II, issus respectivement des art. 26, 28 et 29 de la loi n° 2010-1563 du 16 déc. 2010 de réforme des collectivités territoriales (JO du 17, p. 22146). Ces articles subordonnaient les fusions ou regroupements de départements et de régions, dans chacun des cas envisagés, à « l’accord de la majorité absolue des suffrages exprimés, correspondant à un nombre de voix au moins égal au quart des électeurs inscrits ». C’est d’ailleurs en application de ces textes que les électeurs alsaciens refusèrent la fusion de leurs deux départements et de la région Alsace, le 7 avril 2013.

[79] V. supra, Une intervention renouvelée.

[80] Loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005.

[81] Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juil. 2008 de modernisation des institutions de la Ve République

[82] Cela par vote conjoint des deux chambres ; ainsi et comme il a été relevé, on est passé du vote conjoint des chambres pour obtenir l’avis du peuple (art. 11, al. 1), au vote conjoint d’une motion par celles-ci pour éviter la consultation populaire, v. A.-M. Le Pourhiet, Droit constitutionnel, op. cit., p. 331. Comme le relève O. Gohin, « ce dispositif, particulièrement mal rédigé, ne trompe personne : le moment venu, le peuple n’est pas près de voir le référendum », Droit constitutionnel, op. cit., note 80, p. 284.

[83] CC, décision n° 76-65 DC, 14 juin 1976, LO modifiant la loi n° 62-1292 du 6 nov. 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, §1 et 2.

[84] CC, décision n° 89-265 DC, 9 jan. 1990, Loi portant amnistie d’infraction (…) en Nouvelle-Calédonie, §7.

[85] Lorsqu’il agit dans ce cadre référendaire le peuple intervient, d’un point de vue théorique, en tant que pouvoir institué par la Constitution. Par le référendum du 29 mai 2005, le peuple souverain a refusé de procéder à la ratification du traité constitutionnel européen (55% de votes négatifs) ; traité dont le contenu s’est ensuite vu repris dans une forme quasi identique par le Traité de Lisbonne, lequel a été ratifié par une loi ordinaire, après la révision parlementaire de la Constitution intervenue et faisant suite à la décision de contrariété à la Constitution : CC, décision n° 2007-560 DC, Traité de Lisbonne et Loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 fév. 2008 modifiant le titre XV de la Constitution, puis ratification par la loi n° 2008-125 du 13 fév. 2008 autorisant la ratification du traité de Lisbonne (JO du 14, p. 2712).

[86] V. B. Pauvert, « Les modes de scrutin dans les propositions du Comité Balladur », Revue politique et parlementaire, 2007, n° 1045, pp. 83 à 88. En effet, les membres du Comité Balladur souhaitaient l’instauration d’une part de proportionnelle afin que les courants politiques minoritaires défavorisés par le scrutin uninominal majoritaire à deux tours puissent cependant être représentés et bénéficier d’une tribune dans les enceintes démocratiques ; cela sans mettre à mal le fait majoritaire existant. Il était alors proposé de faire élire de vingt à trente parlementaires à la proportionnelle (Proposition n° 62 : Introduire une part de proportionnelle pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale [20 à 30 sièges] pour assurer la représentation des formations politiques minoritaires). En outre, il y a tout lieu de se montrer circonspect quant à l’effet d’une telle réforme en matière de représentativité des élus, car en se référant aux suffrages obtenus lors de l’élection présidentielle de 2002 (au cours de laquelle la dispersion des suffrages fut la plus importante jamais intervenue au cours des soixante dernières années), ce furent 41% des électeurs qui se prononcèrent en faveur de candidats issus de mouvements non représentés au Parlement, cela ne ferait donc que de huit à douze députés (selon qu’un chiffre de 20 ou 30 ait été retenu) sur un total de 577 qui iraient à des formations non-représentées au Parlement (soit respectivement 1,38 à 2,07% des députés de l’Assemblée). Enfin si, ce qui est parfois craint, un parti dénoncé comme radical obtenait 20 à 25% des suffrages, il n’aurait alors qu’un maximum de 8 parlementaires sur 30 donc sur 577 (voire simplement 5 si le nombre d’élus à la proportionnelle était limité à 20), ce qui ne devrait guère bousculer le jeu politique. Quoi qu’il en soit, cette réforme n’a pas été reprise à l’occasion de la révision de 2008 et au regard des équilibres politiques et institutionnels actuels, il ne semble guère probable qu’elle ne le soit à brève échéance ; en outre, le Premier ministre, Manuel Valls, s’est encore récemment déclaré hostile à une telle évolution précisant qu’il « ne souhaite pas » l’élection des députés à la proportionnelle intégrale, Le Monde, 7 déc. 2014.

[87] Bertolt Brecht, Œuvres, vol. 23, L’Arche, 1999, p. 249 et suiv. & notes p. 546.

[88] Art. 1 C.

Laisser un commentaire